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Abus : « Le déni drape le monstre en un revenant méconnaissable » P. Goujon

La question des abus dans l’Eglise – et plus largement dans notre société – occupe une place non négligeable dans les médias. Je vous propose quelques lectures que vous trouverez j’espère instructives. Parfois difficile, j’ai apprécié faire ce travail de lecture et d’écriture.

Pour cette fois, j’ai choisi de changer la forme. Vous trouverez les détails des ouvrages en fin d’article. 

Au commencement.

Qui peut comprendre ?

Au commencement de cet article il y a peut-être une peur de ne pas comprendre. Ne pas comprendre les victimes, ne pas comprendre les circonstances, ne pas être la bonne personne pour dire et peut-être même pour lire ces récits. J’ai mis du temps à sortir de ma pile à lire ces ouvrages qui traitent des abus dans l’Église. Depuis un an, sur le mur devant moi, est placé un Post-it avec ce mot : « Abus ». Depuis un an et peut-être plus je recule le moment de la lecture. Enfin je m’y suis plongé.

Témoins et journalistes ?

Les ouvrages que je vais vous présenter ne sont ni drôles, ni faciles. Ils compilent un certain nombre de témoignages qui ont terni l’Église et tous ses membres au cours de ces dernières année. Des témoignages où vous pourrez distinguer les emprises, les traumatismes, les manques d’écoute ou encore l’absence de réaction. Ce sera aussi l’occasion de découvrir des livres de journalistes qui tentent d’affiner leur compréhension de ces affaires.

Passer de la sidération…

Comme beaucoup peut-être – étais-je le plus naïf – j’ai été sidéré par le documentaire qu’a diffusé Arte. Rien ne me laissait penser à cela dans notre Église, et pourtant. Certaines personnes ne voudront pas voir la réalité en face, cette réalité qui touche aussi bien l’Église de France que l’Église universelle : il y a des abuseurs partout. On découvre qu’ils sont aussi bien clercs que religieux, hommes ou femmes.

À la lecture.

De la liturgie à l’emprise.

Le premier livre que j’ai pris entre les mains est Liturgie sous Prozac. Ce médicament est un antidépresseur notoire. Dans ce récit, l’auteur conte son propre chemin spirituel sous emprise qu’elle a vécu au sein des Fraternités monastiques de Jérusalem. Éblouie par la liturgie magnifique de cette communauté, elle y voit un chemin vers le ciel. Bien sûr quand, à l’intérieur de la machine, elle comprend que rien n’est laissé au hasard et que tout est répété des heures durant, elle se sent manipulée.

Le sentiment avait pris le pas et là-dessus s’est installé. Mais c’est une phrase qui a tout fait basculer du mauvais côté, celui de l’emprise qui déjà avait posé ses bases. Après des doutes nombreux et répétés, une phrase qui changea tout… elle est restée. 

Elle n’a pas pu relever les signaux d’alerte, se tourner vers quelqu’un d’autre. L’emprise de sa supérieure, l’emprise du fondateur étaient en place. 

Il lui a fallu du temps avant de comprendre, avant de sortir, avant de se reconstruire. Il lui a fallu du temps avant de se sentir de nouveau femme. 

Ce témoignage n’est pas anodin, il nous pousse tous à la vigilance et devrait nous pousser à parler, à dire ce que nous voyons. Ces silences, ces secrets ne devraient pas en être. 

L’ouvrage de Anne-Charlotte de Maistre réussit à faire passer au lecteur l’ambiance qui entoure ce morceau de sa vie. L’auteur nous fait comprendre les étapes. Son écriture claire permettra à chacun d’entrer dans ce récit. 

Merci à elle.

Abus, un mal répandu.

De #MeToo à l’Église.

Le deuxième ouvrage qui m’est venu entre les mains est journalistique. Religieuses abusées, le grand silence de Constance Vilanova cherche ici à mettre en lumière différents cas avérés d’abus d’origines différentes. Elle commence par mettre en lumière comment le mouvement #MeToo a été aussi au sein de l’Église le début d’une nouvelle libération de la parole. L’abus sur personne majeur étant moins bien reconnu et identifié dans notre société. En effet il est plus difficile à mettre en lumière notamment s’il se passe – comme c’est le cas pour plusieurs interviewées – au cœur de communautés religieuses. 

Ce qui parait révoltant – et l’est – c’est la complicité tantôt de supérieures, du prêtre ou de l’évêque local. Mais c’est aussi un silence qui atteint Rome. L’auteur expose des cas de prostitutions interne à l’Église. Parfois pour de l’argent ou pour des faveurs, des supérieurs envoient ou étouffent dans l’œuf des abusées. Sortir de là est un chemin, mais rien que dire ces mots n’est-ce pas franchement regarder ailleurs.

Empoisonnement de la pensée.

La lecture de cet ouvrage a été pour moi – non une révélation car j’avais entendu de loin ces affaires – mais l’occasion de prendre conscience par des témoignages de l’étendue du mal. L’affaire qui m’a le plus touché est celle liée aux frères Philippe car ils ont sévi dans mon diocèse. C’est un véritable emprisonnement qu’ils ont mis en place, emprisonnement de la pensée, de la conscience. Pour cela, ils furent habiles à déformer la conscience de leurs victimes. 

La mémoire du corps.

Continuant sur ma lancée de lecture sur ce thème, j’ai lu le petit livre de Patrick Goujon récompensé de multiples fois ces dernières semaines. Prière de ne pas abuser est un livre court où l’auteur, prêtre jésuite, se livre sur ce qu’il a subi au cours de son enfance. Refoulé pendant de nombreuses années, le trauma de l’abus à répétition s’est réveillé à travers son corps. Les multiples symptômes ne disaient pas seulement un mal physique mais un mal psychique enfoui si profondément qu’aucun souvenir ne resta. 

Le temps passa, puis le réveil arriva aussi soudainement que de manière imprévisible. Le déni qui jusque-là voilait ce passage de sa vie se fissure et se dévoile. « Le déni drape le monstre en un revenant méconnaissable » (p.28). Dans ce récit, Patrick Goujon livre son trauma, offre à lire ce parcours de réveil qui lui a permis d’être au clair avec lui-même. 

Le lecteur sera impressionné par la simplicité des mots, des phrases que Goujon garde comme objectif. « Sujet, verbe, complément » fut sa rengaine pour garder le cap. Il arrive ainsi à mettre des mots sur le non dicible, sur un parcours fait de haut et de bas. 

Après la lecture de cet ouvrage – qui fut rapide et intense – je veux simplement lui dire merci. Merci d’être la voix de ceux qui peut-être ne peuvent s’exprimer. Merci car il pose des questions intéressantes et essentielles à l’Église et à nos communautés. Merci enfin d’avoir pu – avec la grâce de Dieu – nous transmettre ces mots qui je l’espère feront bouger les lignes. 

Simplement MERCI.

Une analyse fine et bien documentée.

C’est à nouveau le livre d’une journaliste, Céline Hoyeau, qui retient maintenant mon attention. J’ai dû faire une pause de lecture après avoir enchainé les précédents. La trahison des pères n’est pas seulement une histoire, ou plusieurs histoires mises ensemble pour un recueil. L’auteur cherche ici à comprendre : comment est-ce possible ? comment ne rien voir ? Elle creuse dans les circonstances afin de peindre un portrait de l’Église d’alors. Elle cherche dans l’histoire les portes laissées ouvertes et qui ont permis à des hommes – dans son ouvrage principalement – ces fondateurs de communautés nouvelles de devenir des abuseurs. Ils ont trahi ceux qui étaient fascinés. Pas seulement des laïcs mais aussi clercs, évêques, mystiques.

Les frères Philippe, centre de la tempête ?

Céline Hoyeau s’appuie principalement pour son ouvrage sur des témoignages de victimes issues des grandes fondations des communautés nouvelles : Marie-Dominique Philippe (fondateur de la communauté Saint-Jean), Thomas Philippe et Jean Vanier (fondateurs de l’Arche), Éphraïm (fondateur des béatitudes), Thierry de Roucy (fondateur de Point-Cœur). En observant et en écoutant les victimes, l’auteur permet de mettre au jour un système bien rodé qui se répète de manière presque identique pour ces fondateurs. 

Là où souffle l’Esprit ?

Le premier point est la confiance : l’Église ou une partie fait confiance à ce souffle nouveau de l’Esprit Saint. Deuxième étape, le fondateur propose une doctrine légèrement – voire franchement – loin de celle de l’Église qui pour des laïcs non formés passe inaperçu. Certains fondateurs vont même jusqu’à cultiver le secret d’une doctrine pour les purs. Troisième étape, ils pervertissent le sacrement de réconciliation ou de l’accompagnement spirituel – pour la plupart d’entre eux. 

Je vous laisse découvrir cette enquête bien menée et intéressante. Bien entendu, il faut s’accrocher un peu mais on comprend les mécanismes de l’emprise qui deviennent manipulation de l’autre. 

Merci pour cette enquête et toutes ces heures à écouter les victimes qui vous ont permis de dégager ce schéma.

De l’écoute à l’écrit.

Pour finir cette série d’ouvrages je veux mettre sous vos yeux une publication plus récente. Cinq femmes se sont réunies pour nous partager chacune un texte. Dans J’écouterai leur cri elles veulent – après avoir écouté des victimes – proposer à l’Église un chemin de possibles. Il me serait bien difficile de résumer en quelques lignes ces cinq pensées. Je laisse donc la parole à Patrick Goujon qui préface l’ouvrage et qui – il me semble – saisit bien l’enjeu dès ses premières lignes :

« Ce livre m’a consolé… J’y étais entré pourtant sur la pointe des pieds. Les cinq autrices s’étaient mises à l’écoute de personnes victimes d’agressions sexuelles commises en Église pour nous en livre des échos. Ces paroles-là sont toujours bouleversantes, mais ce livre fait œuvre de consolation. Il accueille la réalité, si éprouvante soit-elle, et cherche à la penser pour que nous vivions dans une Église qui ne soit plus un des principaux lieux d’agressions sexuelles sur les mineurs (le second, après les familles). Quand le silence s’est imposé comme règle, seule la parole est d’or. »

Liturgies sous prozac

Note

Auteur

Sortie

Note : 5 sur 5.

Anne-Charlotte de Maistre

Janvier 2022

Difficulté

Éditeur

Nombre de pages

Note : 3 sur 5.

Salvator

192

Résumé de l’éditeur :

Au moment où l’Église de France traverse une de ses plus grave crise, Anne-Charlotte de Maistre livre un témoignage de l’intérieur sur les rapports d’autorité dans une communauté religieuse. Dans ce monde clos voué à la prière et en dépit de cette vocation céleste, les dysfonctionnements bien terrestres des organisations sont exacerbés : abus de pouvoir, infantilisation, incompréhension des signaux d’alerte… Ni la beauté de la liturgie, ni même les antidépresseurs ne parviennent à masquer de profonds sentiments de solitude et de souffrance intérieure. Un récit de première main sur ce que les personnes réelles, d’âme, de chair et de sang, espèrent et vivent derrière les murs épais qui, jusqu’à récemment, protégeaient le silence et les secrets. Postface de Laurent Lemoine.

Liturgie sous Prozac



18,80€

L’auteur :

Anne-Charlotte de Maistre a passé neuf ans au sein des Fraternités monastiques de Jérusalem. Elle travaille actuellement dans le domaine médico-social.

Religieuses abusées, le grand silence

Note

Auteur

Sortie

Note : 5 sur 5.

Constance Vilanova

Octobre 2020

Difficulté

Éditeur

Nombre de pages

Note : 3 sur 5.

Artège

216

Résumé de l’éditeur :

Quand en 2018 le pape François évoque la douleur de religieuses abusées et victimes d’agressions sexuelles, le monde est frappé de stupeur. La vague #Metoo a déferlé en un an à peine et l’Église n’est pas épargnée par les révélations scandaleuses. De l’Inde au Vatican, en passant par l’Argentine et l’Hexagone, Constance Vilanova donne la parole à ces femmes oubliées qui ont dû se reconstruire en se murant dans le silence trop souvent imposé.

Il aurait été profondément injuste de se limiter au simple récit de ce scandale. Avec les regards d’experts et d’expertes, théologiennes, soeurs et prêtres, l’ouvrage explore la prise de conscience qui se fait jour, les structures d’aide mises en place et les orientations salutaires pour sortir des mécanismes qui favorisent de telles souffrances.

Une enquête vérité pour avancer.

Préface de Stéphane Joulain

Religieuses abusées
le grand silence



17€

Article de l’auteur :

https://www.la-croix.com/Religion/Religieuses-abusees-grand-silence-enquete-dire-linnommable-2020-10-07-1201118125

L’auteur :

Constance Vilanova, historienne de formation, est journaliste presse et radio. Après un an d’enquête et de rencontres à travers le monde, elle signe ici son premier ouvrage.

Prière de ne pas abuser

Note

Auteur

Sortie

Note : 5 sur 5.

Patrick Goujon

Octobre 2021

Difficulté

Éditeur

Nombre de pages

Note : 2.5 sur 5.

Seuil

90

Résumé de l’éditeur :

Je n’avais jamais imaginé combien les agressions sexuelles commises contre un enfant pouvaient détruire sa vie d’adulte. J’étais choqué par le scandale de tels crimes, surtout quand ils sont perpétrés par des hommes d’Église. Je m’en étais tenu là jusqu’au jour où m’est revenu d’un coup ce qu’un prêtre m’avait fait subir pendant mon enfance. J’avais été enfermé dans le déni pendant près de quarante ans. Parce que j’avais porté plainte et que j’avais enfin parlé, j’ai cru pouvoir guérir, mais tout s’effondrait. Dans les décombres de mon histoire, revenait une question lancinante : comment avais-je bien pu choisir de devenir prêtre à mon tour ?

Prière de ne pas abuser



12€

L’auteur :

Patrick C. Goujon est professeur d’histoire de la spiritualité au Centre Sèvres-Facultés jésuites de Paris, membre associé du Centre d’Études en Sciences Sociales du Religieux (EHESS). Il est jésuite et prêtre de l’Église catholique. Il a notamment publié Méditez et vous vivrez (Bayard, 2021).

La trahison des pères

Note

Auteur

Sortie

Note : 5 sur 5.

Céline Hoyeau

Mars 2021

Difficulté

Éditeur

Nombre de pages

Note : 3 sur 5.

Bayard

352

Résumé de l’éditeur :

La liste de ces figures de communautés nouvelles dont on découvre aujourd’hui qu’ils ont commis des abus spirituels, parfois sexuels, ne semble pouvoir s’arrêter. Comment ces hommes (et ces femmes) si brillants, si lumineux, ont-ils pu laisser la place à une part si sombre ? comment ces communautés qui ont porté tant de fruits dans le sillage du « nouveau printemps » chrétien peuvent-elles révéler aujourd’hui des fondations si fragiles ? C’est impensable et incompréhensible, et pourtant il faut bien reconnaître que coexistent ces réalités.
Céline Hoyeau, journaliste à La Croix et catholique qui a elle-même vécu son engagement dans ces communautés nouvelles, ne cesse de se heurter à cette incompréhension. Sans verser dans une moralisation du problème, ni un règlement de compte, elle mène une enquête patiente, précise et éclairante. Pour comprendre comment de si grandes figures ont pu susciter tant de vocations et de souffrances en même temps, elle a choisi de reconstituer une trame historique, rassemblant de très nombreux témoignages et l’éclairage de spécialistes. Des pistes de réflexions nouvelles se dégagent de ce travail salvateur qui redonne la parole aux victimes.

La trahison des pères



19,90€

L’auteur :

Céline Hoyeau est journaliste au service religion du quotidien La Croix. Depuis une dizaine d’années, elle enquête sur les abus sexuels au sein de l’Église catholique.

J’écouterai leur cri

Note

Auteur

Sortie

Note : 4 sur 5.

Monique Baujard, Geneviève Comeau, Joëlle Ferry, Thérèse de Villette, Agata Zielinski

170

Difficulté

Éditeur

Nombre de pages

Note : 2 sur 5.

Emmanuel

170

Résumé de l’éditeur :

Le 5 octobre 2021, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) présentait un rapport qui dévoilait l’ampleur et la profondeur de la crise des abus dans l’Église. À partir de leur expertise, mais aussi comme femmes, croyantes engagées dans l’Église, les autrices de ce livre nous partagent leur réflexion née de ce séisme.

Thérèse de Villette, criminologue spécialiste de la justice restaurative, nous invite à comprendre le vécu des victimes et celui des agresseurs pour offrir une démarche de transformation. Geneviève Comeau, théologienne, nous propose un retournement théologique en posant la question du mal non plus seulement du point de vue du pécheur, mais aussi de la victime. Joëlle Ferry, exégète, nous entraîne dans un parcours biblique sur le thème des abus. Agata Zielinski, philosophe, montre comment le travail de vérité effectué par la Ciase nous convoque à sortir de l’entre-soi. Enfin Monique Baujard, ancienne directrice du service famille et société de la CEF, met en lumière les impensés de l’Église institutionnelle révélés par la crise.

Une lecture passionnante et salutaire.

J’écouterai leur cri



18€

Les auteurs :

Religieuses xavières, Geneviève Comeau, Joëlle Ferry, Thérèse de Villette et Agata Zielinski ont invité leur amie Monique Baujard à rejoindre ce projet de réflexion auquel participent également Patrick Goujon, Christine Danel et Nathalie Becquart.

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Prêtre du #diocèse #Beauvais @catho60. Encore en étude jusqu'en 2021 en théologie morale. Avant d'entrer au séminaire pour @catho60 j'ai fait mes études à @UniLaSalle_fr école d'ingénieur agricole dont je suis diplômé. Ce blog est né car lors de ma formation au séminaire certains professeurs m'ont demandé de m'exercer à écrire et développer une pensée. De plus j'ai trouvé ce moyen car il peut m'être utile et être utile à d'autres et cela m'oblige à lire ! Mon article préféré : https://lirechretien.fr/2015/05/01/comment-jai-vu-dieu-a-loeuvre-dans-la-maladie-de-mon-frere/

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